Enterrée dimanche dans le cimetière Behecht-é Zahra de Téhéran, Neda Agha-Soltan, 26 ans (photographiée en mai dernier par son fiancé), est devenue le symbole d'une jeunesse iranienne en quête de changement.
Tuée par balle lors des manifestations de samedi, Neda Agha-Soltan a donné un visage aux victimes de la répression contre les opposants à la réélection de Mahmoud Ahmadinejad. La vidéo de sa mort a fait le tour de la planète. Voici son histoire.
Il y a d'abord eu ces appels restés sans réponse. Puis ce coup de fil d'Amérique, venant d'une tante éloignée. «Sois prudente ! Ils massacrent les manifestants !», implore-t-elle, en mentionnant, au détour d'une phrase, la vidéo d'une fameuse «Neda», tuée en pleine manifestation, et diffusée sur les chaînes télévisées de la diaspora en exil. Golshad retient ses larmes. Elle refuse d'y croire. Malgré ses mises en garde, elle sait bien que sa meilleure amie, Neda, a bravé l'interdit pour aller manifester dans les rues de Téhéran. Mais en Iran, c'est un prénom courant. Et sa copine lui a promis d'être prudente, avec cet humour noir qui lui colle à la peau : «T'inquiète, en un tir, c'est fini !»
Samedi 20 juin, vers 18 h 30, le coup aura été fatal. «Neda venait juste de sortir de la voiture. Je l'ai vue s'effondrer sous mes yeux, après avoir été frappée en pleine poitrine», sanglote Hamid Panahi, son professeur de musique, fidèle compagnon de ses virées contre l'injustice. C'est lui - et non son père - qu'on voit sur le film amateur de 40 secondes, pris à partir d'un portable, et qui a aussitôt fait le tour de la planète. Accroupi à ses côtés, il répète, en farsi : «N'aie pas peur, Neda, ma chérie, n'aie pas peur…».
(La vidéo est disponible en suivant ce lien . Attention, ces images sont choquantes et ne doivent pas être visionnées par un public sensible. )
Anonyme dans la foule des mécontents, Neda Agha-Soltan, 26 ans, est devenue, à la vitesse éclair de l'Internet, une icône de la contestation contre le régime iranien. Les images de sa troublante agonie, puis de sa mort, filmée par un manifestant, ont été visionnées par des dizaines de milliers de personnes. Des poèmes en son honneur inondent la blogosphère. Des cérémonies à sa mémoire s'organisent à travers le monde. Mais pour ses proches, elle reste, avant tout, le symbole d'une jeunesse iranienne en quête de changement, dans un pays qui tangue entre tradition et modernité. «La politique, ce n'était pas son truc», se rappelle Golshad, effondrée, dans le hall de l'immeuble menant à l'appartement modeste des parents de Neda, dans la banlieue est de Tehran Pars. Derrière la porte, où les intimes défilent pour présenter leurs condoléances, les pleurs bourdonnent.
«Elle débordait d'énergie»
C'est ici même qu'elle comprit, peu avant minuit, qu'elle ne reverrait plus jamais son amie. «Sans nouvelles, je me suis empressée de venir voir sa famille. J'ai été accueillie par des cris de lamentations… C'était bien “ma” Neda qui était morte…», dit-elle. Accroché à la grille d'entrée, un drapeau noir flotte au vent. La cérémonie privée, dimanche, a été organisée à la va-vite. Sous le choc de la nouvelle, des amies voilées de noir titubent jusqu'à l'entrée. Leurs joues sont tachetées de Rimmel, à force d'avoir trop pleuré. Sur le trottoir, un minibus attend les proches pour les emmener au cimetière Behecht-é Zahra, où doit reposer Neda. Avant de partir, les jus de fruit circulent de main et main. Mais l'émotion l'emporte sur la soif. «Elle débordait d'énergie. Elle croquait la vie à pleines dents», raconte Golshad - un nom d'emprunt, par crainte d'être embêtée. Les deux copines se connaissaient depuis l'école primaire.
Cadette d'une famille de trois enfants, Neda grandit à Téhéran. Son père est fonctionnaire. Sa mère, femme au foyer. Bonne élève, elle s'inscrit à l'université libre, où elle suit des cours de philosophie islamique. Puis, curieuse de découvrir le monde, elle s'oriente vers une carrière dans le tourisme. Avec ses économies, fruits d'un mi-temps dans une agence de voyages, elle visite Dubaï, la Thaïlande et la Turquie. «Il y a deux mois, nous sommes parties en vacances à Antalia. Qu'est-ce qu'on s'est amusées !», soupire Golshad, en sortant une photo souvenir de son sac à main. Les cheveux dans le vent, des lunettes de soleil sur le nez, Neda semble heureuse. Libre comme l'air. «Elle adorait chanter», poursuit Golshad. La musique : sa vraie passion, qu'elle partage avec son professeur de piano, Hamid Panahi. «Elle avait un talent inné. Elle aurait pu aller très loin», dit-il, en grillant nerveusement une cigarette.
Tuée d'une seule balle
Ni rebelle ni tête brûlée, Neda voit sa vie basculer le 12 juin, jour du scrutin présidentiel. Comme de nombreux autres Iraniens, elle place tous ses espoirs en Moussavi, le candidat de l'ouverture. Quand elle se réveille, le lendemain, c'est la douche froide : Ahmadinejad, son rival ultraconservateur, vient de l'emporter haut la main. Les rumeurs de fraudes se mettent à circuler. «Elle ne supportait pas l'injustice. Tout ce qu'elle souhaitait, c'est que le vrai vote du peuple soit pris en compte», dit Panahi. Convaincue de pouvoir résister de manière pacifique, elle rejoint la foule des manifestants, qui déferle, une semaine durant, dans la capitale iranienne. Mais ce samedi 20 juin, la tension est à son maximum. La veille, l'ayatollah Khamenei a prévenu qu'il ne tolérerait plus aucun rassemblement. Vers 15 h 30, Golshad appelle Neda. «Cette fois-ci, n'y va pas, c'est trop dangereux !» En vain. Ce sera leur dernière conversation. Trois heures plus tard, Neda, Panahi et deux autres amis se retrouvent dans les bouchons de l'avenue Amir-Abbad, où la manifestation de la place Azadi, plus au sud, est en train de déborder. Ils sortent de la voiture pour prendre le pouls de la situation. Un étrange «clic» perce l'air. En un clin d'œil, Neda tombe à terre. «Ils l'ont tuée avec une seule balle, sans raison», gémit Panahi. Un médecin offre son secours et tente de la ranimer. Mais le sang coule de son nez et de sa bouche. «Je brûle, je brûle…», dit-elle à Panahi. Elle meurt dans ses bras, avant d'arriver aux urgences de l'hôpital Shariati.
Qui a tiré ? La confusion règne. Les proches de la victime accusent les bassidjis, les miliciens pro-Ahmadinejad. Mais les autorités iraniennes nient l'utilisation, par leurs forces, d'armes à feu lors des manifestations. Reste que l'ultramédiatisation de la mort de Neda dérange le système. Lundi, une cérémonie en son souvenir dans une mosquée de Téhéran a été interdite. Sous la pression des agents de la sécurité, les parents de Neda ont dû retirer le drapeau noir de leur porte, et n'osent pas parler aux journalistes. Hamid Panahi, lui, refuse de se résigner à la censure. «Je n'ai rien à craindre, mon heure est passée, je suis un homme âgé, dit-il. Le seul crime de Neda, c'est d'avoir voulu faire entendre sa voix. Tuer une jeune femme innocente, c'est contre la religion !»
Il y a d'abord eu ces appels restés sans réponse. Puis ce coup de fil d'Amérique, venant d'une tante éloignée. «Sois prudente ! Ils massacrent les manifestants !», implore-t-elle, en mentionnant, au détour d'une phrase, la vidéo d'une fameuse «Neda», tuée en pleine manifestation, et diffusée sur les chaînes télévisées de la diaspora en exil. Golshad retient ses larmes. Elle refuse d'y croire. Malgré ses mises en garde, elle sait bien que sa meilleure amie, Neda, a bravé l'interdit pour aller manifester dans les rues de Téhéran. Mais en Iran, c'est un prénom courant. Et sa copine lui a promis d'être prudente, avec cet humour noir qui lui colle à la peau : «T'inquiète, en un tir, c'est fini !»
Samedi 20 juin, vers 18 h 30, le coup aura été fatal. «Neda venait juste de sortir de la voiture. Je l'ai vue s'effondrer sous mes yeux, après avoir été frappée en pleine poitrine», sanglote Hamid Panahi, son professeur de musique, fidèle compagnon de ses virées contre l'injustice. C'est lui - et non son père - qu'on voit sur le film amateur de 40 secondes, pris à partir d'un portable, et qui a aussitôt fait le tour de la planète. Accroupi à ses côtés, il répète, en farsi : «N'aie pas peur, Neda, ma chérie, n'aie pas peur…».
(La vidéo est disponible en suivant ce lien . Attention, ces images sont choquantes et ne doivent pas être visionnées par un public sensible. )
Anonyme dans la foule des mécontents, Neda Agha-Soltan, 26 ans, est devenue, à la vitesse éclair de l'Internet, une icône de la contestation contre le régime iranien. Les images de sa troublante agonie, puis de sa mort, filmée par un manifestant, ont été visionnées par des dizaines de milliers de personnes. Des poèmes en son honneur inondent la blogosphère. Des cérémonies à sa mémoire s'organisent à travers le monde. Mais pour ses proches, elle reste, avant tout, le symbole d'une jeunesse iranienne en quête de changement, dans un pays qui tangue entre tradition et modernité. «La politique, ce n'était pas son truc», se rappelle Golshad, effondrée, dans le hall de l'immeuble menant à l'appartement modeste des parents de Neda, dans la banlieue est de Tehran Pars. Derrière la porte, où les intimes défilent pour présenter leurs condoléances, les pleurs bourdonnent.
«Elle débordait d'énergie»
C'est ici même qu'elle comprit, peu avant minuit, qu'elle ne reverrait plus jamais son amie. «Sans nouvelles, je me suis empressée de venir voir sa famille. J'ai été accueillie par des cris de lamentations… C'était bien “ma” Neda qui était morte…», dit-elle. Accroché à la grille d'entrée, un drapeau noir flotte au vent. La cérémonie privée, dimanche, a été organisée à la va-vite. Sous le choc de la nouvelle, des amies voilées de noir titubent jusqu'à l'entrée. Leurs joues sont tachetées de Rimmel, à force d'avoir trop pleuré. Sur le trottoir, un minibus attend les proches pour les emmener au cimetière Behecht-é Zahra, où doit reposer Neda. Avant de partir, les jus de fruit circulent de main et main. Mais l'émotion l'emporte sur la soif. «Elle débordait d'énergie. Elle croquait la vie à pleines dents», raconte Golshad - un nom d'emprunt, par crainte d'être embêtée. Les deux copines se connaissaient depuis l'école primaire.
Cadette d'une famille de trois enfants, Neda grandit à Téhéran. Son père est fonctionnaire. Sa mère, femme au foyer. Bonne élève, elle s'inscrit à l'université libre, où elle suit des cours de philosophie islamique. Puis, curieuse de découvrir le monde, elle s'oriente vers une carrière dans le tourisme. Avec ses économies, fruits d'un mi-temps dans une agence de voyages, elle visite Dubaï, la Thaïlande et la Turquie. «Il y a deux mois, nous sommes parties en vacances à Antalia. Qu'est-ce qu'on s'est amusées !», soupire Golshad, en sortant une photo souvenir de son sac à main. Les cheveux dans le vent, des lunettes de soleil sur le nez, Neda semble heureuse. Libre comme l'air. «Elle adorait chanter», poursuit Golshad. La musique : sa vraie passion, qu'elle partage avec son professeur de piano, Hamid Panahi. «Elle avait un talent inné. Elle aurait pu aller très loin», dit-il, en grillant nerveusement une cigarette.
Tuée d'une seule balle
Ni rebelle ni tête brûlée, Neda voit sa vie basculer le 12 juin, jour du scrutin présidentiel. Comme de nombreux autres Iraniens, elle place tous ses espoirs en Moussavi, le candidat de l'ouverture. Quand elle se réveille, le lendemain, c'est la douche froide : Ahmadinejad, son rival ultraconservateur, vient de l'emporter haut la main. Les rumeurs de fraudes se mettent à circuler. «Elle ne supportait pas l'injustice. Tout ce qu'elle souhaitait, c'est que le vrai vote du peuple soit pris en compte», dit Panahi. Convaincue de pouvoir résister de manière pacifique, elle rejoint la foule des manifestants, qui déferle, une semaine durant, dans la capitale iranienne. Mais ce samedi 20 juin, la tension est à son maximum. La veille, l'ayatollah Khamenei a prévenu qu'il ne tolérerait plus aucun rassemblement. Vers 15 h 30, Golshad appelle Neda. «Cette fois-ci, n'y va pas, c'est trop dangereux !» En vain. Ce sera leur dernière conversation. Trois heures plus tard, Neda, Panahi et deux autres amis se retrouvent dans les bouchons de l'avenue Amir-Abbad, où la manifestation de la place Azadi, plus au sud, est en train de déborder. Ils sortent de la voiture pour prendre le pouls de la situation. Un étrange «clic» perce l'air. En un clin d'œil, Neda tombe à terre. «Ils l'ont tuée avec une seule balle, sans raison», gémit Panahi. Un médecin offre son secours et tente de la ranimer. Mais le sang coule de son nez et de sa bouche. «Je brûle, je brûle…», dit-elle à Panahi. Elle meurt dans ses bras, avant d'arriver aux urgences de l'hôpital Shariati.
Qui a tiré ? La confusion règne. Les proches de la victime accusent les bassidjis, les miliciens pro-Ahmadinejad. Mais les autorités iraniennes nient l'utilisation, par leurs forces, d'armes à feu lors des manifestations. Reste que l'ultramédiatisation de la mort de Neda dérange le système. Lundi, une cérémonie en son souvenir dans une mosquée de Téhéran a été interdite. Sous la pression des agents de la sécurité, les parents de Neda ont dû retirer le drapeau noir de leur porte, et n'osent pas parler aux journalistes. Hamid Panahi, lui, refuse de se résigner à la censure. «Je n'ai rien à craindre, mon heure est passée, je suis un homme âgé, dit-il. Le seul crime de Neda, c'est d'avoir voulu faire entendre sa voix. Tuer une jeune femme innocente, c'est contre la religion !»
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